La tentative du président américain Donald Trump de négocier une fin de la guerre des États-Unis et de l’OTAN avec la Russie en concluant un accord avec Moscou s'est heurtée à une vive résistance en Europe et met à mal l'alliance transatlantique avec les États-Unis. L'époque où les États-Unis étaient considérés comme un «partenaire » est définitivement révolue.
«Trump a définitivement ruiné la réputation des États-Unis en tant qu'allié fiable et raisonnable», écrivait Berthold Kohler, rédacteur en chef du quotidien allemand FAZ. Le fait que Kiev doive désormais faire des courbettes devant Trump est «la punition infligée pour sa négligence flagrante en matière de sécurité, due à sa dépendance envers un partenaire peu fiable». Le président français Macron avait raison «d'appeler à une autonomie stratégique», qui devait désormais être recherchée avec beaucoup plus de constance.
Ce point fait consensus dans les principales capitales européennes. Cependant, la quête d’une «autonomie stratégique» – la constitution de forces armées capables de rivaliser avec la redoutable machine militaire américaine et de poursuivre la guerre contre la Russie – est incompatible avec les conditions sociales qui ont longtemps atténué les antagonismes de classe en Europe. Elle met à l’ordre du jour de véhémentes luttes de classes.
L’« autonomie stratégique » exige le transfert de sommes colossales des budgets sociaux vers les budgets militaires, la destruction de centaines de milliers d’emplois dans le cadre de la guerre commerciale internationale et le rétablissement du service militaire obligatoire. Les parents doivent à nouveau se préparer à «perdre leurs enfants», comme l’a récemment déclaré le chef d’état-major de l’armée de terre française, le général Mandon. En bref, «l’autonomie stratégique» exige la «trumpisation» de l’Europe.
Léon Trotsky a écrit dans les années 1920: «Le capitalisme américain en acculant de plus en plus l'Europe la poussera automatiquement dans la voie de la révolution. C'est là qu'est le nœud de la situation mondiale.» Et il a averti que: « En période de crise, l'hégémonie des États-Unis se fera sentir plus complètement, plus ouvertement, plus impitoyablement que durant la période de croissance.»
Le krach boursier de 1929 a bien plongé l'Europe dans une crise révolutionnaire, comme Trotsky l'avait prédit. Mais la classe ouvrière fut vaincue d'abord en Allemagne, puis en France et en Espagne, car les partis de masse sociaux-démocrates et staliniens se révélèrent incapables d'assurer une direction révolutionnaire. Il en résulta la catastrophe de la Seconde Guerre mondiale.
Après la guerre, les États-Unis sauvèrent le capitalisme européen, alors totalement discrédité. À cette époque, la bourgeoisie allemande, couverte de sang de la tête aux pieds, était assise sur les ruines de la guerre qu'elle avait déclenchée. Les bourgeoisies italienne et française avaient étroitement collaboré avec les nazis. Au sein de la classe ouvrière, la conviction que le capitalisme avait échoué et devait être aboli était largement répandue.
Deux facteurs ont empêché le renversement du capitalisme européen. Le premier fut la bureaucratie stalinienne de Moscou, qui, usant de son influence sur les partis communistes, étouffa dans l'œuf toute initiative révolutionnaire. Le second fut le rôle des États-Unis, qui avaient besoin de l'Europe occidentale comme rempart contre l'Union soviétique durant la Guerre froide et comme marché pour leurs produits, et qui aidèrent le capitalisme européen à se redresser grâce au plan Marshall.
Aujourd'hui, les États-Unis ne sont pas un facteur de stabilisation sur la scène politique mondiale, mais bien le principal facteur de déstabilisation. Le pays le plus riche du monde est devenu le plus endetté. L'impérialisme américain tente de se sortir de cette crise en imposant des droits de douane punitifs à ses adversaires comme à ses alliés, en les menaçant militairement et en déclarant la guerre à sa propre classe ouvrière. Ce phénomène n'a pas commencé avec Trump, mais avec Ronald Reagan. Il s'est poursuivi sous ses successeurs démocrates et républicains et a pris une nouvelle dimension avec Trump.
La crise de l'impérialisme américain pousse non seulement la société américaine, mais aussi la société européenne, vers une confrontation révolutionnaire. Comme l'écrivait Trotsky il y a un siècle: «c'est le capitalisme américain qui révolutionne une Europe en déclin». Les mécanismes sociaux et les institutions politiques qui, par le passé, contenaient la lutte des classes s'effondrent sous le poids des droits de douane punitifs américains, des exigences de profit des marchés financiers et du coût exorbitant du réarmement.
L'accès à une éducation de qualité, à des soins de santé adéquats, à des salaires élevés et à des retraites sûres appartient désormais au passé. Les syndicats et les partis réformistes se sont transformés en instruments du capital. Les partis pseudo de gauche comme Syriza en Grèce, Podemos en Espagne, le parti Die Linke en Allemagne – et Mamdani à New York – se soumettent au pouvoir dès leur arrivée au gouvernement.
La faillite des partis de la réforme sociale a permis aux démagogues de droite de tirer profit du mécontentement croissant. Mais la situation commence à évoluer. Les manifestations de masse contre la réforme des retraites de Macron en France, les grandes manifestations contre le génocide à Gaza en Grande-Bretagne et en Espagne, et les grèves générales actuelles en Belgique, en Italie et au Portugal en témoignent.
Ce mouvement n'a pas encore un caractère révolutionnaire. Il est dominé par les syndicats traditionnels, les mouvements syndicalistes de base et les groupes pseudo de gauche. Il reste prisonnier de l'illusion que la pression peut contraindre la classe dirigeante à changer de cap. Mais les travailleurs et les jeunes apprennent vite. L'échec des politiques de protestation les rend réceptifs à une perspective révolutionnaire et socialiste – à condition qu'elle soit défendue de manière systématique.
Pour l'impérialisme européen, et notamment allemand, la guerre contre la Russie est un enjeu stratégique majeur. Tant que les impérialistes européens confronteront le plus grand arsenal nucléaire du monde, il leur sera difficile de poursuivre leurs ambitions impérialistes mondiales. La Russie possède également de précieuses matières premières. Hitler avait déjà déclaré que la conquête de «l'espace vital à l'Est» était son objectif principal de politique étrangère. Cette guerre actuelle sert aussi un objectif de politique intérieure: la militarisation de toute la société en prévision de féroces luttes de classe.
Mais même les plus bellicistes s'accordent à dire que, sans le soutien américain, la guerre contre la Russie ne peut se poursuivre, et encore moins être gagnée, du moins pas dans les trois à cinq prochaines années. D'où l'amertume face à la «trahison» américaine et le rythme accéléré du réarmement européen.
Le conflit avec les États-Unis ne force pas l'Europe à faire bloc mais exacerbe les rivalités entre puissances européennes. La réconciliation d’après-guerre entre l'Allemagne et la France, «ennemies jurées» qui se sont affrontées lors de trois guerres ruineuses en 75 ans, était moins due à la clairvoyance d'Adenauer et Gaulle qu'aux pressions américaines. Aujourd'hui, Paris et Berlin s'accordent sur le réarmement et la poursuite de la guerre contre la Russie, mais aucune ne souhaite céder à l'autre le leadership de l’Europe.
Un accord entre Poutine et Trump ne mettrait pas fin au conflit ukrainien. Il ne ferait que constituer une étape supplémentaire vers une troisième guerre mondiale. Seule une intervention indépendante de la classe ouvrière internationale pour stopper les bellicistes permettra d'atteindre une paix véritable.
La lutte contre les licenciements, les coupes salariales et sociales, pour la défense des droits démocratiques et la lutte contre la guerre sont indissociables. Les travailleurs doivent renoncer à l'illusion que les appels moraux ou la pression politique puissent dissuader la classe dirigeante de changer de cap. Il est impossible de lutter sérieusement contre la guerre sans mettre fin à la dictature du capital financier et au système économique capitaliste, qui sont à l'origine du militarisme et de la guerre.
Cela exige une rupture totale d’avec tous les partis et organisations qui défendent le capitalisme, et la construction d'un parti qui unisse la classe ouvrière de tous les pays et de toutes les nationalités dans la lutte pour une société socialiste — les Partis de l'égalité socialiste et le Comité international de la Quatrième Internationale.
(Article paru en anglais le 28 novembre 2025)
